Introduction
L'industrie laitière du Québec occupe une place importante du secteur agroalimentaire, avec plus de 4800 fermes et des recettes annuelles totalisant 2,5 milliards de dollars (
MAPAQ 2020). Bien que la grande majorité (66%) des fermes laitières soient situées près des grands centres urbains de la Province (c.-à-d. basses terres de l'axe Montréal-Québec), une portion non négligeable des fermes laitières se retrouvent en régions plus éloignées telles que dans le Bas-Saint-Laurent (12%) et le Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) (6%) (
MAPAQ 2020). Un des avantages de produire du lait en régions éloignées est sans aucun doute le faible prix d'acquisition des terres agricoles. Par exemple, avec une valeur moyenne de 6 589$/ha en 2022, le prix des terres agricoles de la région du SLSJ demeure plus abordable que celui des régions agricoles situées plus au sud (Montérégie 41 843$/ha; Lanaudière 33 310$/ha; Mauricie 14 718$/ha, etc.) (
FAQ 2023). Toutefois, en raison d'un climat moins favorable, les régions périphériques ont peu accès à une des cultures fourragères les plus performantes agronomiquement (rendements à l'hectare) et énergétiquement (ex.: amidon, sucres solubles, unité fourragère lait, etc.) de l'industrie, à savoir le maïs à ensilage. En effet, avec des cumuls d'unités thermiques maïs (UTM) oscillant en moyenne entre 1 727 et 2 246 UTM pour la période 1979–2008 (
Atlas agroclimatique du Québec 2024), les producteurs laitiers de la région du SLSJ ne parviennent que très rarement à obtenir le plein potentiel de cette culture sous ces conditions. C'est dans ce contexte qu'est apparue, il y a une dizaine d'années au SLSJ, une technologie permettant d'augmenter les chances de succès de produire du maïs à ensilage. Importée d'Irlande, cette technologie nommée SAMCO® permet, en un seul passage, de semer le maïs, d'appliquer les intrants de démarrage (ex.: herbicides), puis de recouvrir le lit de semence d'un mince film plastique (7 µm d’épaisseur) considéré et vendu comme étant entièrement biodégradable en quelques mois seulement. Au Canada, une des seules études scientifiques à avoir rapporté l'utilisation de cette technologie pour la production du maïs à ensilage a été réalisée à Saint-Jean de Terre-Neuve (
Kwabiah 2003). Cette étude, réalisée au début des années 2000, a documenté de nombreux avantages agronomiques associés à cette technique dont l'accélération de la maturation (6 à 15 jours), une augmentation de 9% du cumul des UTM, ainsi qu'une augmentation des rendements en matières sèches de 7 à 22% (
Kwabiah 2003). À l’époque, aucun problème d'accumulation de résidus ou de fragment n'avait été observé par l'auteur (
Kwabiah 2003).
Selon le fournisseur local—et corroboré par nos analyses par spectroscopie proche infrarouge (Fig. S1)—le paillis de plastique utilisé par les producteurs de maïs en ensilage est constitué de polyéthylène de faible densité. Ce film de polyéthylène, qualifié d'oxo-biodégradable, est issu de la technologie d
2w de la compagnie Symphony Environmental Limited (Borehamwood, Angleterre, Royaume-Uni). Selon le manufacturier, le film est fabriqué en incorporant un additif (ex.: agent pro-oxydant) au plastique, permettant ainsi une première fragmentation abiotique (c.-à-d. dépolymérisation) du polymère suite à son exposition aux rayons ultraviolets (UV) de la lumière solaire et, par le fait même, une fragmentation des longues chaînes de polyéthylène et une diminution des poids moléculaires (
Ghatge et al. 2020). Par la suite, les microorganismes du sol utilisent les fragments de faibles poids moléculaires comme source d’énergie, ce qui permet éventuellement de convertir les oligomères de polyéthylène en dioxyde de carbone (CO
2), en eau, et en biomasses microbiennes (
Ghatge et al. 2020).
La biodégradation complète des plastiques oxo-biodégradables est loin de faire l'unanimité dans la littérature scientifique. En effet, suite à une exposition relativement intense aux rayons UV (ex.: 300 nm pendant 40 h), les études les plus optimistes rapportent une dégradation de 55 à 92% après environ deux années (733 jours) d'incubation en conditions de laboratoire (23 °C) (
Chiellini et al. 2003;
Jakubowicz et al. 2011). Au contraire, d'autres études moins optimistes rapportent des taux de dégradation au laboratoire relativement faibles. Par exemple,
Fontanella et al. (2010) montrent des taux de décomposition de 5 à 12% après plus d'une année d'incubation. Une autre étude a rapporté des taux de dégradation très faibles voire presque nuls lorsque les oxo-plastiques n'avaient pas été préalablement oxydés par la lumière et/ou la chaleur (
Rose et al. 2020). Par conséquent, une récente revue de la littérature concluait que bien que l'ajout de produits pro-oxydants accélère la dégradation des oxo-plastiques en petits fragments, la dégradation biotique complète des oxo-plastiques par les microorganismes demeure incertaine, voire peu probable en conditions réelles d'utilisation (
Abdelmoez et al. 2021).
Plusieurs études remettent donc en question les mécanismes de dégradation du polyéthylène oxo-biodégradable, et c'est particulièrement le cas sous conditions réelles, au champ. En effet, une étude réalisée en Grèce observait aucun signe de dégradation après une saison de culture et 102 mois (8,5 années) d'enfouissement dans le sol (
Briassoulis et al. 2015a). Pour le polyéthylène oxo-biodégradable artificiellement oxydé en laboratoire avant enfouissement (UV 800 h, à 50 °C),
Briassoulis et al. (2015b) ont montré que la majorité du plastique (89%) se fragmentait en micro-plastiques (<1 mm) après 82 mois dans le sol, des fragments dont les méthodes actuelles ont de la difficulté à extraire et à mesurer quantitativement. Toutefois, les analyses chimiques réalisées sur ces micro-plastiques montraient très peu de changement structurel par rapport au polyéthylène initial (
Briassoulis et al. 2015b), suggérant ainsi une faible utilisation des oligomères de polyéthylène par les microorganismes du sol. En laboratoire comme au champ, les études s'entendent sur le fait que la fragmentation des paillis de plastiques oxo-biodégradables est très faible si ceux-ci ne sont pas exposés préalablement à la lumière UV.
Au champ, la technique de mise en place du paillis de plastique avec la technologie SAMCO© va essentiellement créer deux conditions d'exposition à la lumière très contrastées, à savoir (1) avec exposition à la lumière sur la portion du plastique exposé à la surface du sol et (2) sans exposition à la lumière sur la portion du plastique enfoui sous la surface du sol (portion servant à tenir en place le paillis). Les résultats de la littérature scientifique présentés précédemment indiquent que les portions exposées à la lumière devraient éventuellement se dépolymériser en plus petits morceaux (ex.: micro-plastiques) dont la décomposition biotique est incertaine, alors que les portions non exposées à la lumière devraient se retrouver intactes et ce, même après plusieurs années d'enfouissement dans le sol. Toutefois, qu'ils soient préalablement exposés à la lumière ou non, la littérature scientifique met clairement en évidence le manque de données probantes significatives permettant d'affirmer que les plastiques oxo-biodégradables se décomposent entièrement en conditions naturelles, et particulièrement sous les conditions climatiques et d'ensoleillement du SLSJ.
Qu'ils soient présents sous forme de micro- ou de macro-fragments, tout indique que les plastiques utilisés au SLSJ risquent de s'accumuler dans le sol et dans l'environnement. D'autre part, nos observations sur le terrain suggèrent que les superficies recouvertes par les paillis de plastique sont en augmentation dans la région depuis quelques années. Pour le moment, aucune statistique ou donnée fiable ne permet de corroborer cette observation. À l'aide des images satellitaires disponibles en libre accès pour le milieu académique (© 2018–2024 Planet Labs PBC), l'objectif de cette étude est donc d'estimer les superficies au SLSJ couvertes par les paillis de plastique durant les dernières années. Connaître l’étendue et l'intensité d'utilisation de cette pratique nous permettra de mieux cerner et relativiser cette problématique, tout en permettant de mieux cibler nos éventuelles campagnes d’échantillonnage sur le terrain. Puisque des augmentations de superficies sont également soupçonnées dans d'autres régions éloignées de la province (ex.: Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, etc.), cette étude pourrait aider ces régions à mieux saisir les conséquences potentielles reliées à l'utilisation de cette technique de production.
Matériel et méthodes
Les images de la constellation satellite PlanetScope (3 m/pixel, Images © 2018–2024 Planet Labs PBC) prisent annuellement entre les 25 mai et les 15 juin ont été utilisées pour estimer les superficies recouvertes par les paillis de plastique entre 2018 et 2024. Ces dates correspondent à la période post-semis pour la grande majorité des secteurs à l’étude, tout en permettant de bien identifier le recouvrement et l'utilisation de cette pratique avec les images satellites. Les images satellites n'ont pas été utilisées avant 2018 car celles-ci ne nous permettaient pas de couvrir l'ensemble de la région. Pour chacune des années, l'imagerie satellitaire couvrait l'ensemble du territoire agricole des cinq (5) municipalités régionales de comté (MRC) du SLSJ, à savoir (i) Lac-Saint-Jean-Est, (ii) Domaine-du-Roy, (iii) Maria-Chapdelaine, (iv) Saguenay et (v) Fjord-du-Saguenay (
Fig. 1). Les images utilisées possédaient une couverture nuageuse de moins de 10%, permettant ainsi de clairement identifier la surface du sol et d'interpréter la présence, ou non, de paillis de plastique au sol (
Fig. 2A). Les images téléchargées ont par la suite été transférées dans un logiciel de géomatique (QGIS, version 3.32.3) afin de vectoriser manuellement les superficies couvertes par le paillis de plastique à l'aide de la fonction « ajout d'une entité polygonale » (
Fig. 2B). Afin de s'assurer de la validité de notre démarche, environ 40 champs (∼20 par année) ont été visités
in-situ en 2023 et 2024 : la totalité (100%) des champs visités corroborait nos résultats des images satellitaires.
Les analyses géospatiales ont également été réalisées à l'aide du logiciel QGIS (3.23.3). La fonction «
$area » a été utilisée pour extraire la somme des superficies recouvertes par le paillis de plastique à chacune des années, et la fonction «
Intersection » a été utilisée afin d’évaluer les superficies par année et par MRC. Ensuite, le modèle de calcul «
Count Polygon Overlap » (
Jenkins 2022) a été utilisé pour estimer l'intensité de recouvrement des sols par le paillis de plastique sur le territoire. Avec cette dernière fonction, nous souhaitions connaître les superficies ayant connu des utilisations répétées selon le nombre de cycles de production (le nombre de saisons) consacrées à la culture sous paillis de plastique pour la période couverte (2018–2024). Par exemple, une intensité de production de trois (3) indique que ces superficies ont été recouvertes trois (3) fois au cours des sept (7) dernières années de production, et ainsi de suite.
Résultats
L'analyse des images satellitaires (Planetscope, 3 m/pixel) montre que les superficies annuelles sous paillis de plastiques ont augmenté depuis les sept (7) dernières années au SLSJ. En effet, depuis 2018, les superficies ont bondi de plus de 90% pour atteindre plus de 2 300 ha annuellement en 2023–2024 (
Tableau 1). Depuis les sept (7) dernières années (2018–2024), c'est plus de 12 187 ha qui ont été cultivés avec cette technique (
Tableau 1). La MRC Lac-Saint-Jean-Est comptait pour la plus grande proportion (37%, 4 490 ha) des superficies, suivie par les MRCs Maria-Chapdelaine (31%, 3 810 ha), Domaine-du-Roy (21%, 2534 ha) et Saguenay (11%, 1 353 ha) (
Tableau 1). Aucune superficie (0 ha) sous paillis de plastique n'a été relevée dans la MRC du Fjord-du-Saguenay.
Entre 2018 et 2024, c'est près de 7 346 ha de sol agricole qui ont été recouverts au moins une fois par un paillis de plastique au SLSJ (
Tableau 2). La majorité des superficies (56%, 4 089 ha) a été recouverte une seule fois, alors que 29% (2 125 ha), 11% (777 ha), 4% (260 ha) et 1% (95 ha) des superficies ont été recouvertes 2, 3, 4, et 5 fois au cours des sept dernières années, respectivement (
Tableau 2). Bien que la MRC Domaine-du-Roy arrive troisième dans la région quant aux superficies totales couvertes durant la période 2018–2024 (
Tableau 1), c'est à cet endroit où l'intensité de recouvrement était la plus grande avec 236 ha de superficies couvertes 4 ou 5 fois depuis les sept (7) dernières années (
Tableau 2).
Suite à ces résultats, nous nous sommes physiquement déplacés sur quelques sites ayant été recouverts qu'une seule fois par des paillis de plastique (intensité 1), mais à des années différentes. Bien que préliminaires et qualitatives, nos observations montrent la présence de macro-fragments de plastique dans les sols (
Fig. 3), et dans une moindre mesure de microfragments (
Fig. 3E), et ce même après 11 mois (
Fig. 3C), 35 mois (
Figs. 3D et
3E), 47 mois (
Figs. 3F et
3G), et même 60 mois (
Figs. 3H et
3I) suivant le recouvrement du sol.
Discussion
Les résultats de cette étude ont permis de mettre en lumière, pour une première fois, l'augmentation des superficies recouvertes de paillis de plastique durant les dernières années au SLSJ. Ces superficies peuvent paraître négligeables par rapport à l'ensemble du territoire agricole (∼400 000 ha). Toutefois, selon la Financière Agricole du Québec (FAQ) et l'Institut de la Statistique du Québec (ISQ), les superficies déclarées en grandes cultures (ex.: avoine, blé, canola, foins, orge, soya, maïs grain et maïs fourrager) représentent environ 25% de ce territoire agricole, à savoir 105 000 ha en moyenne annuellement depuis les cinq (5) dernières années (
ISQ 2024). Cette mise en perspective suggère donc qu’à l’échelle de la région, bon an mal an, entre 1,3 et 2,5% de terres agricoles les plus productives sont maintenant couvertes par du paillis de plastique. Assumant que les superficies estimées par notre étude soient entièrement dédiées à produire du maïs à ensilage et que l'ensemble des superficies produites au SLSJ soient rapportées à la FAQ, c'est entre 50% et 60% des superficies dédiées au maïs à ensilage de la région qui utilisent le paillis de plastique comme technique de production. Et si on ajoute le fait que plus de 44% des superficies identifiées ont été recouvertes par ce paillis plus d'une fois au cours des sept (7) dernières années (
Tableau 2), des études devraient être rapidement entreprises afin de s'assurer que ces sols, généralement parmi les plus fertiles de la région, ne soient pas dégradés de façon plus ou moins permanente par la présence des macro-fragments et des microfragments de plastique issus de ce paillis. En effet, aucune étude ne s'est encore intéressée au temps de décomposition de ce paillis sous nos conditions pédoclimatiques, ainsi qu'aux effets sur nos agroécosystèmes terrestres et aquatiques. Toutefois, nos premières observations qualitatives présentées à la
Fig. 3 sont inquiétantes. En effet, des macro-fragments étaient facilement observés à la surface du sol et jusqu’à des profondeurs d'environ 30 cm, et ce même après 60 mois suivant le dernier recouvrement du sol par le paillis de plastique. Des macro-fragments exposés après 60 mois présentaient très peu de signes de dégradation, corroborant ainsi les conclusions de la plupart des études sur la décomposition des oxo-plastiques présentées précédemment.
Les conséquences de l'accumulation des plastiques dans les environnements agricoles et aquatiques sont nombreuses et de mieux en mieux documentées. Dans l'environnement agricole, la présence de plastiques peut occasionner des changements positifs et/ou négatifs sur la stabilité des agrégats et la porosité des sols, résultant ainsi en une modification de la capacité de rétention en eau et de son infiltration dans le profil (
de Souza Machado et al. 2019;
Sepehrnia et al. 2024). Par exemple, la présence de macro-fragments peut compromettre la capacité d'infiltration du sol, tout en augmentant l'hétérogénéité du drainage à l’échelle du champ (
Jiang et al. 2017). L'absence de colloïde à leur surface ainsi que la nature hydrophobe des plastiques expliquent également le fait que ces fragments puissent réduire la capacité du sol à retenir les nutriments et à augmenter leur lessivage (
Liu et al. 2022). En contrepartie, cette même nature hydrophobe permet généralement de retenir plusieurs contaminants (ex.: pesticides) ce qui contribue, par le fait même, à leur bioaccumulation et à leur transport vers les agroécosystèmes aquatiques situés en aval (
Teuten et al. 2007;
Bakir et al. 2014;
Fang et al. 2019;
Dong et al. 2020).
La présence de plastiques dans l'environnement édaphique est également connue pour affecter la macro/microfaune ainsi que les microorganismes du sol. En effet, il a été démontré que d'exposer les vers de terre (
Lumbricus terrestris) aux microfragments de polyéthylène peut avoir des conséquences importantes sur ceux-ci, dont notamment une augmentation de la mortalité et une diminution de la croissance (
Huerta Lwanga et al. 2016). En règle générale, la majorité des études scientifiques montre une diminution de la richesse microbienne (ex.: bactéries et champignons) du sol exposé aux fragments de polyéthylène (
Fei et al. 2020;
Cheng et al. 2021;
Liu et al. 2022), alors qu'une augmentation des activités enzymatiques (ex.: catalase, uréase, phosphatase, etc.) est souvent observée suite à ces expositions (
Huang et al. 2019;
Fei et al. 2020).
Ce gain potentiel en activités enzymatiques ne se traduit pas nécessairement par une augmentation de la productivité des cultures. En effet, quelques études ont rapporté des baisses de croissance et de rendement du maïs (
Uzamurera et al. 2023), du riz (
Zeng et al. 2013), et de la tomate (
Zou et al. 2017) occasionnées par des utilisations répétées des films de plastiques. Bien que les mécanismes derrière cette diminution de rendement soient peu connus, une autre étude montrait récemment la capacité des plantes à assimiler et à transporter les petites particules de plastiques dans leurs structures cellulaires (
Li et al. 2020). Un autre élément d'explication réside peut-être dans la libération de composés chimiques par les plastiques eux-mêmes. D'une part, il est maintenant bien documenté que la fragmentation des particules de plastique dans les sols libère leurs agents plastifiants dans l'environnement, à savoir des composés de la famille des phtalates (
Ouyang et al. 2023). D'autre part, une étude récente montrait le lien entre la diminution de la croissance du maïs et l'augmentation des teneurs du sol en phtalates issues de la fragmentation des plastiques (
Uzamurera et al. 2023). En effet, le système racinaire des plantes est en mesure de bio-assimiler les phtalates présents dans les sols (
Fu et Du 2011;
Sun et al. 2015;
Sun et al. 2021;
Uzamurera et al. 2023). Par exemple, entre le sol et le maïs,
Wang et al. (2021) indiquaient un facteur de bioaccumulation des phtalates entre 1,6 et 2,3. En santé humaine, les phtalates sont connus pour être des perturbateurs endocriniens responsables de plusieurs problèmes de santé, dont les cancers du sein et de la prostate (
Giuliani et al. 2020). Ingérés par une vache laitière via le maïs à ensilage, les phtalates peuvent par la suite se concentrer dans les substances liposolubles de l'animal telles que les gras et le lait (
Fierens et al. 2012), pour ensuite être reconcentrés davantage dans les produits transformés du lait tels que le beurre et les fromages (
Fierens et al. 2013). Pour toutes ces raisons, l'accumulation et la dégradation des paillis de plastiques dans nos sols agricoles méritent toute notre attention, d'autant plus dans le contexte laitier où une vache en période de lactation peut ingérer plus de 35 kg d'ensilage de maïs par jour.
Les fragments de plastique représentent également une source potentielle de pollution pour les milieux aquatiques. Bien que de plus en plus documenté, il subsiste des incertitudes considérant la présence, le destin et les impacts des plastiques dans les écosystèmes d'eau douce (
Eriksen et al. 2014;
Anderson et al. 2016;
Horton et al. 2017). Somme toute, les études réalisées au Canada ont montré que ces particules pouvaient y être fréquentes, mais présentes en quantités très variables, généralement entre 0,8 et 1 977 particules par litre d'eau (
López-Rojo et al. 2020;
Wang et al. 2022). Cette variation témoigne du fait que leur abondance dans l'eau et le sol découle directement des activités humaines locales telles que l'agriculture (
Zalasiewicz et al. 2016). En effet, loin d’être immobiles, les microfragments de plastique se dispersent vers les milieux aquatiques à partir des zones de production terrestres. Une méta-analyse publiée en 2022 a montré que les cours d'eau sous l'influence d'une ou plusieurs activités humaines étaient les voies privilégiées de captation et de propagation de cette pollution (
Wang et al. 2022), particulièrement les systèmes pluviaux urbains et les drainages agricoles. Selon leur forme et leur densité, les fragments de plastique pourront se concentrer à la surface de l'eau, dans la colonne d'eau et/ou dans les sédiments (
Hoellein et Rochman 2021). Au Canada, les types de plastiques les plus fréquemment retrouvés sont (i) les billes, majoritairement issues des produits cosmétiques (
Castañeda et al. 2014), (ii) les fibres, issues de l'industrie textile, et (iii) les fragments (
Ballent et al. 2016) provenant de la dégradation de produits de consommation, ce qui comprend certains films, dont les paillis oxo-biodégradables agricoles. Deux études ont récemment conclu que ces plastiques oxo-biodégradables ne se dégradent pas en conditions aquatiques (
Glaucia et al. 2024;
Theobald et al. 2024), représentant ainsi un risque d'accumulation important dans les bassins versants où ces plastiques sont couramment utilisés.
Les effets des micro/macro-fragments de plastique dans les environnements aquatiques peuvent être décomposés en deux (2) groupes, à savoir les effets liés à l'ingestion des particules et les effets liés à la diffusion de composantes chimiques (ex.: agents plastifiants tels que les phtalates et/ou autres polluants organiques plus ou moins persistants). L'ingestion de particules de plastique a été démontrée chez de nombreux organismes aquatiques comme des mollusques (
Browne et al. 2008), des crustacés planctoniques (
Desforges et al. 2015) et des invertébrés benthiques (
Silva et al. 2019). Une étude réalisée dans les Grands Lacs (Canada) a récemment montré une forte prévalence de microfragments de plastique dans les estomacs de huit (8) espèces de poissons (
Munno et al. 2022). Cette contamination peut être issue d'une consommation directe et/ou d'une bioamplification le long de la chaîne trophique (
Bhatt et Chauhan 2023). Cette intrusion de fragments de plastique dans le réseau trophique a des conséquences écosystémiques diversifiées et importantes sur l'environnement aquatique, dont une diminution de la photosynthèse des algues microscopiques (
Besseling et al. 2014), une diminution de la productivité des organismes zooplanctoniques (
Cole et al. 2013) et une diminution de l'activité des décomposeurs aquatiques (
López-Rojo et al. 2020).
Tout comme l'environnement terrestre, les conséquences les plus inquiétantes sur l'environnement aquatique liées à l'usage de paillis à base de polyéthylène sont reliées à la libération des agents plastifiants (ex.: phtalates) et leur bioaccumulation dans la chaîne trophique. Par exemple, une diminution importante de la croissance et une augmentation des difformités ont été observées chez
Daphnia magna ayant été nourries avec des algues microscopiques préalablement exposées à des fragments de plastique (
Besseling et al. 2014). D'autres études ont également détecté des changements comportementaux marqués et une dérégulation de l'expression des gènes indiquant des perturbations endocriniennes chez des poissons exposés à des fragments de polyéthylène (
Rochman et al. 2014;
de Sá et al. 2015). La présence et la production soutenues de fragments de polyéthylène provenant des paillis de plastique représentent donc un risque d'effets négatifs pouvant grandement dépasser les limites administratives du SLSJ, particulièrement si on considère la durabilité et la persistance des plastiques dans les environnements terrestres et aquatiques ainsi que leur transport dans l'environnement.